Le Désert d’Atacama : Cimetière de la Fast Fashion
vue du désert d'Atacama, ses volcans et lagunes

Comment le désert le plus aride au monde est devenu une décharge publique pour l’industrie de la mode ! 

Véritable joyau de la nature, le désert d’Atacama accueille chaque année des milliers de voyageurs venant du monde entier. Situé au nord du Chili, il s’étend sur près de 1 000 km, jusqu’à la frontière du Pérou et de la Bolivie. Désert le plus aride de notre planète, fleurissant parfois de manière inattendue, il offre des paysages de lagunes, salars et volcans enneigés parmi les plus majestueux au monde. Écosystème unique au cœur d’un environnement extrême, le désert d’Atacama est un véritable laboratoire naturel pour de nombreux chercheurs. Il abrite également le plus grand centre d’astronomie au monde (ALMA) où viennent se relayer des astronomes internationaux, déterminés à résoudre les questions les plus profondes de nos origines cosmiques. Ce joyau, menacé depuis plusieurs années par l’exploitation du lithium, se voit aujourd’hui grandement fragilisé par l’industrie de la mode et de la fast fashion. On vous explique pourquoi !

L’Expansion de la Fast Fashion au Chili : une histoire qui ne date pas d’hier !

La fast fashion fait son apparition dans les années 90 dans de grandes villes telles que New-York et Londres. Les vêtements se renouvellent avec rapidité et certaines marques peuvent alors produire jusqu’à une trentaine de collections par an. Depuis près de 30 ans, de nombreuses enseignes de prêt-à-porter nous ont donc habitués, petit à petit, à acquérir des tenues peu onéreuses et de qualité médiocre. À coût d’investissements publicitaires massifs, elles ont su susciter en nous le désir d’acheter et de renouveler sans cesse notre garde-robe. 

Cette production rapide et massive de vêtements génère beaucoup de déchets. Le consommateur moyen achète aujourd’hui 60 % d’habits supplémentaires pour les porter seulement la moitié du temps. 60 % de ces vêtements finissent dans des décharges ou des incinérateurs au cours de l’année qui suit leur fabrication.

Nous nous sommes tous déjà demandé ce qu’il advient des vêtements que nous jetons dans les points de collecte ou dans les conteneurs près de chez nous. La réponse n’est pas glorieuse ! De nombreux textiles sont composés de matières synthétiques et ne sont pas biodégradables. Comment s’en débarrasser ? Pour d’innombrables pays, un bon moyen d’éliminer ses déchets non recyclables reste de les vendre à l’étranger et le Chili est l’un des importateurs mondiaux les plus importants de vêtements usagés ! 

Depuis plus de 30 ans, le pays s’est spécialisé dans le commerce de prêt-à-porter de seconde main. Chaque année, ce sont près de 60 000 tonnes de vêtements provenant d’Europe, d’Asie et d’Amérique qui arrivent à Iquique, zone franche située au nord du Chili et porte d’entrée du désert d’Atacama. À leur arrivée, les habits sont revendus à des magasins de seconde main ou envoyés dans différentes zones d’Amérique du Sud. Une autre partie, se retrouve en plein cœur du désert d’Atacama, dans l’une des plus grandes décharges illégales, aujourd’hui surnommée le « vortex de la mode ».

Des répercussions dramatiques au cœur du désert d’Atacama 

La situation que subit actuellement le nord du Chili est une véritable catastrophe environnementale. Parmi les milliers de tonnes de vêtements qui arrivent chaque année dans le port d’Iquique, de nombreux ne sont pas retenus par les importateurs. Ils finissent à l’intérieur de camions qui les transportent dans des villes périphériques où ils sont revendus, sur les étals de marché et dans la rue. Ce qui ne se vend pas atterrit dans le désert d’Atacama, devenu une décharge à ciel ouvert de vêtements usagés et non recyclables. 

La décomposition chimique de ces textiles peut prendre des dizaines, voire des centaines d’années.  Dans le désert d’Atacama, les vêtements sont brûlés, enfouis sous terre ou laissés à l’air libre. Ces pratiques engendrent une pollution de l’air, des nappes phréatiques et fragilisent grandement l’écosystème. 

vêtements abandonnés dans le désert d'Atacama
Crédit photo : association Desierto Vestido Tarapaca

Les conséquences environnementales sont évidentes, mais qu’en est-il pour la population ? 

La ville d’Iquique possède aujourd’hui l’un des plus grands ports commerciaux d’Amérique du Sud. Zone franche, dépourvue de taxes, son inauguration en 1975 a été une véritable révolution pour ses habitants. Elle s’est développée rapidement, abritant actuellement près de 2000 entreprises dont la moitié sont chiliennes. 

Ces entreprises bénéficient de franchises d’impôts et d’absence de droits de douane, fruit de multiples accords de libre-échange que le Chili a signé avec de nombreux pays. 

En plus de créer de l’emploi et d’améliorer la vie locale des habitants, la création de ce port « hors taxes » a été vécue comme une véritable révolution pour les résidents chiliens, ayant alors accès à des produits qu’ils n’auraient pas pu s’offrir auparavant et à moindre coût. 

Dans cette euphorie collective et cette course à la consommation, on oublie aujourd’hui que le désert d’Atacama abrite aussi des populations et près de 30 000 habitants principalement regroupés dans les communes de San Pedro et Calama. 

L’enjeu sanitaire pour ces populations est crucial. Pour autant, le gouvernement chilien ne semble pas s’en préoccuper. En 2016, le Chili a adopté la loi « Ley REP » qui tient les producteurs et les importateurs responsables de six catégories de déchets : les huiles lubrifiantes, les produits électroniques, les piles et petites batteries, les conteneurs, les emballages et les pneus. Les textiles n’ont pas encore été inclus dans la liste.

Cependant, au cœur de cette crise environnementale, une lueur d’espoir émerge grâce à des initiatives locales portées par de fervents défenseurs de la nature. Des initiatives positives comme celle de la société Ecocytex qui transforme les déchets textiles en fil. L’entreprise Zofri S.A qui gère la zone franche d’Iquique soutient de plus en plus d’actions liées au recyclage. Celle par exemple de l'entreprise Ecofibra qui crée à partir de vêtements usagés, des panneaux d’isolation thermique pour le secteur de la construction. L’association Desierto Vestido Tarapaca, basée à Iquique, alerte sur les conséquences de cette décharge toxique à ciel ouvert. Elle sensibilise les habitants à la protection de l’environnement et au recyclage, organisant des ateliers dans les écoles et auprès d’adultes. Elle collabore également avec des artistes de renommée mondiale. Si le désert d’Atacama est confronté à des défis sérieux, on espère que ces initiatives permettront une prise de conscience rapide afin de préserver cet environnement naturel et les populations qu’il abrite.

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